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L’ascension et l’ivresse dans la poésie

soufie de Cheikh Moussa Kâ

Cet article propose de revisiter les poèmes écrits en wolof par le soufi Cheikh Moussa Kâ, disciple de Cheikh Ahmadou Bamba. Le disciple et le maître ont tous deux évolué entre le XIXe et le XXe siècle, en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement au Sénégal. Les poèmes du soufi Cheikh Moussa Kâ révèlent une maîtrise surprenante de ce langage à travers lequel se superposent et s’enchevêtrent les voiles symboliques du monde réel avec ceux métaphysiques de la dimension spirituelle. Toutefois, son expression poétique semble suggérer une certaine originalité dans la construction symbolique qu’il aurait réadaptée à ses propres réalités sociohistoriques.

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Depuis le IXe siècle, la poésie a toujours représenté pour beaucoup de maîtres du Tasawwuf une forme d’expression majeure du vécu spirituel. Cette fonction, essentielle et exclusive chez les soufis solitaires, fut renforcée plus tard, à travers l’évolution confrérique, par une seconde vocation non moins intense qui assimilait la poésie à une forme d’invocation de Dieu (adh-dhikr). Ainsi, grâce aux supports symboliques, les initiés pouvaient, d’une part, communiquer, sans danger, l’intensité et la vivacité de leurs mystérieuses expériences personnelles et, d’autre part, exprimer leur Reconnaissance(1) face à toutes ces grâces, en passant inévitablement par la proclamation de l’Amour(2) pour le maître spirituel.

Replacés dans ce contexte, les poèmes du soufi Cheikh Moussa Kâ(3) révèlent une maîtrise surprenante de ce langage à travers lequel se superposent et s’enchevêtrent les voiles symboliques du monde réel avec ceux métaphysiques de la dimension spirituelle. Toutefois, son expression poétique semble suggérer une certaine originalité dans la construction symbolique qu’il aurait réadaptée à ses propres réalités sociohistoriques. A ce niveau précis, il sied de s’interroger sur la place remarquable de l’eau qui, chez ce poète, est au-devant de tous les supports jusque-là usités par les autres soufis.

Ainsi, cet article se propose d’apporter un éclairage sur la personnalité mystique, au-delà de la dimension littéraire, de ce poète, disciple et chantre de Cheikh Ahmadou Bamba(4). Nous commencerons par une analyse préalable de la fonction de la poésie dans le soufisme avant de revisiter la valeur des supports symboliques dans le langage des initiés et plus particulièrement dans celui de Cheikh Moussa Kâ. Cette dernière partie donnera l’occasion d’apprécier les mouvements de l’eau qui ont permis au poète de voiler et de dévoiler des étapes de l’Ascension(5) du soufi.

1 – Les voiles superposés du langage soufi :

A travers son langage, le soufi semble toujours situer la grande révélation dans le silence. En effet, les subtilités du vécu intérieur des états spirituels insondables de l’âme semblent conduire et subjuguer l’expression de l’initié à tel point que ses propos interloquent et convoquent toujours le silence et la méditation. A ce niveau, nous partageons l’avis d’un spécialiste qui dit que « la science ultime, en soufisme, est celle du silence »(6).

Sans doute, l’une des clés qui permettent de dévoiler le sens du langage soufi se situe dans la saisie de la Réalité spirituelle vécue à l’instant même par le locuteur. Nous avons donné l’exemple ailleurs, en montrant que pour la définition d’un même concept spirituel comme le Tasawwuf, de grands maîtres d’une même tendance orthodoxe ont tenu un langage différent. Chacun l’avait défini selon son état spirituel du moment(7). Or, le paradoxe est que tous les soufis ont la claire conscience de l’indicibilité de ces états spirituels. D’ailleurs, parmi ces définitions, celle d’Abu Sulaymân ad-Dârânî sonne comme un avertissement et convoque le silence tel que nous l’avons déjà noté plus haut.

« Le Tasawwuf est tel qu’il se passe à l’intérieur du soufi des choses que Seul le Vrai (Dieu) appréhende et qu’il est en permanence avec Lui dans un état que Lui seul comprend »(8).

Cela veut dire que même si le soufi avait tenté d’exprimer son vécu intérieur – et cela ne manquerait pas – il en serait incapable. C’est justement face à cette limite que l’initié fait recourt à l’allusion (al-ishâra) et à différents supports puisés du monde réel et plus précisément du milieu socioculturel connu, afin de symboliser des réalités métaphysiques. Ainsi, ces symboles lui permettent, non seulement de dévoiler aux autres initiés, par l’allusion, des réalités subtiles et cachées, mais aussi de voiler son langage face aux profanes parmi lesquels figurent les docteurs de la Loi, maîtres de la « censure ».

Plus tard, le soufi sentira le besoin de renforcer ce voile de l’allusion en lui superposant un autre plus dense et plus énigmatique. C’est celui du langage poétique. En effet, la poésie en tant que telle est le lieu par excellence des symboles et des allusions. En outre, elle est à même de pouvoir communiquer les sensations subtiles du cœur du fait qu’elle est enfantée par l’inspiration, l’une des sources légitimes de profusion de la connaissance mystique (Al-Ma’rifa)(9).

Parmi ces premiers poètes, les biographes et spécialistes du soufisme ont retenu des noms comme ceux de Râbiâ al-Adawiyya, de Dhun-Nûn al-Misrî, D’Abul- Hassan an-Nûrî et d’Abû Saîd ben Abil-Khayr(10). Mais de toutes ces générations de soufis solitaires, le langage de Ṭayfûr al-Bistâmi(11) et celui d’Abû Mansûr al- Hallaj(12) sont les plus énigmatiques et plus riches en symboles. La particularité de ces deux soufis s’est trouvée dans le fait qu’ils semblaient plus fréquemment parler sous l’emprise de l’Ivresse et qu’ils étaient amenés à défier la loi du silence.

Cet usage de la poésie par les soufis s’est intensifié, des siècles plus tard, avec les générations confrériques. En effet, de nouvelles fonctions qui lui sont assignées semblent venir se superposer les unes sur les autres. Avant de donner un petit aperçu sur ces fonctions en question, notons que, concernant sa nature et ses supports, nous partageons l’avis du spécialiste Eric Geoffroy qui a consacré, dans son ouvrage, tout un chapitre à l’étude de cette question(13). A ce propos, il a montré que « la poésie soufie, surtout à partir du XIIIe siècle, a réinvesti et vivifié les thèmes de la poésie arabe classique (l’amour, le vin…), et les genres poétiques qui leur servaient de réceptacles (ghazal, khamriyya, muwashshah) »(14).

La première fonction de la poésie dans le soufisme est sans doute le fait de représenter un moyen exceptionnel qui permet d’exprimer le plus authentiquement possible des réalités métaphysiques que les contraintes rationnelles liées à la prose empêchent de capturer. C’est ainsi qu’on peut se permettre, à travers elle, de dire son Amour pour son Créateur, de raconter son Voyage qui défie le temps et l’espace vers l’Un et de parler de l’éclat d’une connaissance intuitive insondable. Grâce aux supports de son langage codé, cette poésie autorise au soufi d’exploser au beau milieu de son extase et de partager avec ses frères sa souffrance et sa désorientation lorsqu’il est sous l’emprise de la Perplexité(15). Cette fonction a été constante dans la production des soufis solitaires des premières générations évoqués ci-dessus.

Deux autres fonctions viendront se superposer sur celle-ci, lorsqu’il s’est agi pour les soufis de systématiser de nouvelles voies ou approches d’éducation spirituelles dans un autre mode de vie plus collectif et plus solidaires. En effet, nous avons eu à constater, dans nos précédentes recherches, qu’en passant par la phase des couvents, des groupes de disciples qui se formaient au grès du rayonnement des maîtres évoluèrent vers des confréries, à partir du XIe siècle(16). Dès lors, de nouvelles générations de soufis vont assigner à la poésie une fonction éminemment dévotionnelle et une autre plus ou moins initiatique.

Ces deux fonctions semblent être inséparables. Elles sont aussi toutes deux liées à deux concepts très chers aux soufis de ces dernières générations : le dhikr ou l’invocation de Dieu et la Réalité Muhammadienne (Al-Haqiqa al-Muhammadiyya)(17). Le premier concept renvoie au moyen dévotionnel le plus efficace que les maîtres des confréries auraient trouvé pour purifier le cœur du disciple(18). D’ailleurs le dhikr a toujours été au milieu des pratiques spirituelles initiatiques de toutes les générations de soufis. Celles des confréries l’ont renforcé en réservant à la poésie une part entière dans ses formes d’exécution. Ici, le poème tient sa fonction dévotionnelle dans l’expression de l’Amour divin et de la Reconnaissance de Ses grâces qui semble être chez le dévot la forme primordiale de l’Invocation.

Par ailleurs, la « Réalité mohammadienne », symbolisée dans ce Bas-monde par la dimension physique et historique du Prophète, en tant que modèle de l’être humain accompli, dépasse le temporel pour être une « réalité métaphysique et cosmologique »(19) qui renvoie à l’ontogénèse. Pour les soufis de ces générations, elle sert surtout de catalyseur à l’Amour du Prophète qui, non seulement est un passage obligé vers la sincérité de l’Amour divin comme le suggère un hadith(20), mais s’identifie à celui-ci, au sommet de sa plénitude. C’est dans ce sens qu’à travers la poésie, en proclamant son Amour pour le Prophète et en lui dédiant des panégyriques, le soufi plonge dans la pratique de l’Invocation de Dieu. Cheikh Ahmadou Bamba, le maître spirituel de Cheikh Moussa Kâ avait incontestablement hissé cette pratique au sommet de la dévotion sincère(21).

Toutes ces précisions nous permettent de situer la portée thématique de la production(22) du poète dont il est question dans cet article. Cheikh Moussa Kâ est certes un soufi du XXe siècle, mais malgré ce long moment qui le sépare des premières générations, la qualité de son œuvre suscite réflexion et admiration. A l’image de ses prédécesseurs, il est l’auteur de « chants »(23) tout aussi savoureux et riches en symboles et en expériences spirituelles authentiques. Toutefois, l’on va constater dans la suite une particularité dans sa modalité de « réinvestir » les thèmes et les symboles employés par les premiers poètes soufis.

2 – L’eau, source de lumière :

 L’Amour divin chanté par le poète soufi est également un état ou une station spirituelle vécue par l’initié au sommet de son Ascension(24). Cela veut dire qu’à ce stade, il exprime une expérience exceptionnelle qui l’a mené jusqu’au seuil de la Jonction(25) où la Lumière divine lui apparaît. Cette Réalité, dans Sa splendeur, le fascine, l’hypnotise, l’éblouit et s’empare de tous ses sens. C’est pourquoi ce poème d’Amour est indistinct du cri d’extase poussé par le soufi perdu dans les tourbillons de son Ivresse. Exprimant ardemment son Désir de se fondre dans cette lumière, il souffre et ne supporte pas la séparation avec son Bien Aimé. Afin de donner une idée de l’intensité de cette souffrance, le poète symbolise parfois ce Désir par une maladie. C’est cela que nous comprenons à travers ces vers d’Abû Mansûr(26):

Ils m’ont dit : vas te faire soigner par Lui, mais je leur réponds :

Ô mes amis, est-ce que le mal se soigne par le mal ?

C’est l’Amour pour mon Seigneur qui m’a consumé et m’a rendu malade

Comment vais-je alors me plaindre de mon Seigneur auprès de mon Seigneur ?

D’autres poètes font allusion à cette attirance à travers une servilité dans laquelle l’amoureux perd la raison. Cheikh ‘Alawî(27) fait partie de ceux-là, comme le suggère ses vers ci-après. Notons également que la Réalité divine est symbolisée ici par le nom d’une femme, ce qui permet au poète de recréer, par le biais des outils du profane, un lieu de rencontre apparemment romantique mais hautement symbolique, par l’intimité, la complicité et le Désir(28) d’union qui sont tout autre(29):

L’amour m’a rendu esclave,

Par la beauté de Laylâ

Eperdu était mon cœur.

Le même poète n’hésite pas à passer par l’érotisme (al- ghazal) qui est un autre genre poétique, afin d’évoquer cette rencontre(30):

Telle une mariée la Présence est apparue Dans sa splendeur, lors de sa descente ! Sa main a cherché la mienne…

Sa belle silhouette m’a subjugué.

Un troisième poète propose une symbolisation qui semble être celle partagée par la plupart des soufis. Ce Désir de rencontre et cette souffrance de la séparation font l’objet d’une allusion à la soif chez Al-Bistâmî. C’est bien cette soif qui annonce le vin, support symbolique par excellence utilisé dans la littérature soufi pour désigner l’Amour ou la Lumière divine. Notons qu’Abû Yazîd al-Bistâmî est considéré comme l’un des précurseurs de la tendance qui a toujours sublimé l’Ivresse au détriment de la Lucidité. A travers les vers ci-dessus, non seulement la rencontre a eu lieu, mais ce Désir ou cette soif commence à être apaisée par les soins de l’Amant(31):

Il m’a abreuvé d’une boisson qui a apaisé mon cœur, Par le verre de l’amour puisé de la mer de l’affection.

Lorsque Cheikh Moussa Kâ voile, dans ces poèmes, sa propre personnalité et indexe celle de son maître, hissé au sommet de l’incarnation prophétique(32), il ne fait pas autre chose que d’exalter l’Amour divin. En effet, les soufis de toutes les confréries ne dissocient pas l’Amour du maître initiateur de l’Amour du Prophète, car celui-ci est le véritable maître. Or, comme nous l’avons évoqué plus haut, l’Amour pour ce grand maître s’identifie à l’Amour de Dieu. Aussi, la même expérience du soufi solitaire est revécue par le disciple quand il magnifie sa rencontre avec son maître, dépositaire, à ses yeux, de la lumière mohammadienne. C’est dans ce sens qu’il faut lire les vers suivant du poète lorsqu’il décrit son propre maître(33):

Jusqu’à ce qu’il fasse la jonction avec Dieu et avec le meilleur des Prophètes Ils lui accordèrent leur affection,

le desquamèrent et il devint son Seigneur.

C’est avec la même intensité que ce poète relate sa rencontre avec son bien aimé. Alors, le même Désir qui l’envahit est également symbolisé par la soif(34):

Tu sers à boire à tout assoiffé qui vient à toi

Tu as d’ailleurs abreuvé tous les grands hommes de l’Epoque…

Quiconque avale un verre de ton Agrément N’aura plus soif durant le reste de son existence !

La particularité chez lui est qu’il n’a jamais utilisé l’érotisme dans toute l’étendue de son œuvre poétique pour symboliser le Désir de rencontre, la souffrance de la séparation ou même la Jonction. Sur le premier point, il n’a pas varié à propos de l’emploi de la soif comme support symbolique. Ceci est d’autant plus exceptionnel qu’il a toujours préféré l’image de l’eau, à la place du vin, lorsqu’il s’agit de faire allusion à la Lumière divine ou à l’Amour divin.

Le Cheikh al Alâwî cité un peu plus haut, dans le but de symboliser la Lumière qui s’empare du soufi et de décrire l’Amour qui caractérise sa rencontre avec le Bien-aimé, utilise la rhétorique bachique comme image forte. En cela, il n’a fait que suivre les traces de ses prédécesseurs qui ont réinvestit ce genre poétique arabe antéislamique au profit du soufisme(35):

Il m’a gratifié d’un vin, et quel vin !

Un vin que tous sans exception ont besoin de boire.

Les poètes soufis ont toujours utilisé cette rhétorique à des niveaux d’intensité différents. Certains, comme Ar-Rumî(36) par exemple, en font une description qui frise la réalité profane. Ce fondateur de confrérie est connu pour la densité symbolique et la richesse de sa poésie, il disait ceci(37):

C’est le bouillonnement de l’amour qui palpite dans le vin.

Quant à Cheikh Moussa Kâ, non seulement il écarte le vin de ses supports symboliques, mais il fait exprès de toujours préciser la nature de sa boisson lorsqu’il lui arrive d’évoquer les verres ou coupes de la littérature mystique. Ainsi, ce récipient contient le plus souvent chez lui, de l’Agrément, de la Lumière ou simplement de l’eau. En plus, il assimile clairement ce dernier symbole à une source de lumière(38):

C’est bien dans l’océan qu’il a palpé Dieu et trouvé qu’Il était Océan !

Il puisa pleinement des lumières du mystère et but son Seigneur !

La place centrale qu’occupe l’eau dans son expression poétique est suffisamment remarquable dans ce ver. La divinité est symbolisée par un océan de lumières mystérieux ; mieux, Il est même l’Océan, Il est la source et le réceptacle des eaux ou des lumières. Grâce à ce jeu magnifique des images, le poète suggère une première signification qui, en réalité est le voile qui cache une deuxième. En effet, par le mot océan, Moussa Kâ évoque un élément historique qui réactualise un voyage temporel effectué en mer par son maître. Il s’agit de l’exil que celui-ci a connu au Gabon(39), considéré par la communauté de ses disciples comme l’une des épreuves mystiques qui a valu à leur maître son rang exceptionnel. Ce séjour temporel cache un autre voyage atemporel cette fois ci, un voyage qui transcende l’espace et durant lequel il fut gratifié de la Connaissance de Dieu après l’avoir « palpé ». Ne s’agit-il pas là du deuxième voyage que le mystique effectue en Dieu, après la Jonction ? En tout cas, il est bien question du voyage dans l’Océan.

Dans un autre poème(40), le chantre évoque sa propre jonction avec son maître, à travers d’autres vers plein de symboles où l’Amour, la Lumière et l’eau ne font qu’un. Ces vers font penser à ce que les soufis appellent l’extinction dans le maître (al-fanâ fish-shaykh)(41).

C’est lui qui m’a inculqué cet Amour Par un savoir qui transcende ma raison,

Sa lumière a rempli mon cœur

Et se déverse sur les valeureux de l’Epoque !

En effet, autant l’extinction en Dieu est envisageable chez le soufi, autant il est nécessaire chez lui de réaliser, durant son voyage retour, son extinction dans l’Envoyé (al-fanâ fir-rasûl)(42), car c’est lui le modèle accompli de l’être humain (al-insân al- kâmil). En plus, c’est lui le véritable maître. C’est la raison pour laquelle les soufis voient que tout maître qui aura accompli parfaitement ce voyage retour sera dépositaire de tous ses attributs(43). Ci-après, le poète décrit son extase, à l’issue de cette rencontre et souffre d’une Ivresse qui s’empare de son moi et lui arrache le sommeil et la tranquillité. Il n’est plus lui-même, mais il est le Verbe de son maître(44):

C’est pour cela que je ne peux plus me taire ! Cet Amour m’empêche de dormir !

Je suis en train d’errer comme le vent,

Incapable de rester sur place, pour toute l’Existence ! Sa lumière s’empare de moi

Mon cœur erre jusqu’à Poroxaan

Je bois à volonté et bois de travers !

Et me mis à éclabousser les valeureux de l’Epoque !

Loin d’être le seul à avoir accordé à l’eau ou à la mer une place non négligeable parmi les valeurs symboliques de la poésie soufie, Cheikh Moussa Kâ a été précédé par beaucoup d’autres initiés comme Al-Bistâmî que nous avons cité ci-dessus. D’ailleurs dans ce domaine, il n’aurait pas fait plus que de s’inspirer de son maître spirituel qui excelle dans cette représentation symbolique. Par exemple, les vers suivants montrent l’intensité de la complicité mystique de Cheikh Ahmadou Bamba avec l’Envoyé, son maître qu’il glorifie, par l’image de l’eau, comme source de lumière(45):

Tu m’as donné à boire dans tes Coupes avec une grande joie Et m’a apporté des flots d’inspiration qui font oublier l’océan et les bateaux.

Cependant, Cheikh Moussa semble unique en son genre pour avoir décrit à plusieurs reprises tout le processus initiatique de l’Ascension du soufi avec l’eau comme seul support symbolique. En parlant de son maître, il marque ci-dessous les différentes étapes de son ascension avec le seul mot « océan » qui a une valeur hautement importante dans son contexte sociohistorique. Par le même mot, il fait ici allusion à son maître, à Dieu et au Prophète(46):

Bamba est bien cet océan qui s’est englouti dans l’Océan Où il trouva un océan qui l’accueillit avec empressement ! Il puisa alors des lumières à volonté

Et nous revint pour arroser cette Epoque.

Les trois étapes du cycle complet de l’Ascension du soufi sont clairement matérialisées dans ce passage. Plus loin, dans le même poème, il utilise une autre image de l’eau non moins importante dans son milieu sociogéographique : l’hivernage. Par sa générosité et l’immensité des richesses qu’il  engendre, l’hivernage est pour le sahélien, non seulement une source d’abondance, mais il est le garant des vivres et de la vie(47): Cheikh Bamba, tu es l’hivernage !

Tu as déclenché ta première grande pluie et tu as arrosé partout.

Ailleurs, le poète insinue que l’ascension ou l’initiation du disciple s’effectue en se servant de l’eau de cet océan exceptionnel qui, par sa ramification, a engendré des mers et des fleuves parmi lesquels figurent les premiers poètes disciples qui l’ont précédé sur cette voie. Il rend hommage(48):

Je me suis abreuvé à partir des fleuves de Kayré et de Babacar Sadîq.

Ce sont eux qui ont plongé dans l’océan de Bamba jusqu’à pouvoir nous servir de l’eau douce.

Le cheikh est l’océan de Dieu qui est loin d’être trouble comme la sauce !

Agite les secrets enfouis de n’importe quel autre cheikh et tu trouveras des sédiments !

C’est seul Serigne Bamba qui affiche une perfection absolue non souillée par le caché !

3 – Conclusion :

L’originalité du poète Cheikh Moussa Kâ est liée à un semblant de paradoxe qu’il partage avec la plupart des premiers disciples formés sous le rayonnement de Cheikh Ahmadou Bamba. Il s’agit de l’affirmation d’une identité culturelle propre participative à l’universelle islamique au-dessus des entraves d’une acculturation arabe dont pourtant les outils linguistiques et civilisationnels demeurent plus que nécessaires et incontournables pour l’aboutissement de ce défi. Ceci est sans doute lié à cette quête de l’Essentiel dans l’approche pédagogique de son maître à laquelle nous avons déjà fait allusion.

En effet, le poète maîtrise bien la langue et la métrique arabes qui lui servent d’ailleurs de ressources pour redresser sa propre langue. Et la qualité de sa culture arabo-islamique telle qu’elle apparaît dans son fond poétique est incontestablement excellente. S’il choisit d’exalter les vertus de son maître exclusivement en Wolof, c’est, en partie, parce qu’il situe l’Essentiel dans le message et l’Universel dans la pluralité des expressions.

A travers cette étude, nous avons vu qu’il a su s’affranchir du mimétisme en appréciant plus ou moins différemment les supports symboliques utilisés par les poètes soufis pendant des siècles. Ainsi, il exclut de son expression poétique la rhétorique bachique et l’érotisme qui, dans son contexte local, pourraient ne pas être chargés de la même valeur symbolique issue du passé littéraire arabo-islamique. Il préfère, pour des raisons historiques et socioculturelles locales, mettre l’accent sur certaines autres images comme l’eau, l’hivernage, la mer et l’océan. Alors, l’authenticité de l’expérience racontée par son chant est mieux perçue chez ses auditeurs, son esthétique poétique en est plus valorisée et la portée du message s’en révèle éminemment spirituelle et universelle.

Notes :

1 – La Reconnaissance (Ash-Shukr) est un état spirituel (hâl) du soufi caractérisé par une prise de conscience profonde des bienfaits de Dieu à son égard. Elle se prolonge dans la pratique à travers une étape (maqâma) marquée par l’accentuation de la dévotion et des actions de grâce telles que l’invocation. Nous avons consacré notre thèse de troisième cycle à la définition et à l’étude des étapes qui marquent l’Ascension du soufi. Cf. Saliou Ndiaye : L’âme dans le Tasawwuf, analyse de la vie des premiers soufis, Thèse de doctorat de 3e cycle, Lettres arabes, UCAD, 2007/2008, p. 97.

2 – Selon plusieurs théoriciens soufis, la station de l’Amour de Dieu est au sommet de l’Ascension intérieure du dévot. Elle se particularise par un état dans lequel le coeur est exclusivement rempli de l’Amour du Créateur à cause de Sa présence et de Son envahissement absolus. C’est une gratification et non une acquisition. Cf. Saliou Ndiaye : op. cit., p. 194. Cet Amour est fondamentalement lié à l’amour du maître spirituel, voir infra.

3 – Mousa Kâ, fils d’Ousmane est né près de Mbacké Baol au Sénégal vers 1889. A l’issue de sa formation spirituelle auprès de son maître Cheikh Ahmadou Bamba, il fut consacré shaykh. Inspiré essentiellement par son maître et certains disciples qui l’ont précédé sur cette voie, il s’adonna à la poésie et finit par devenir le plus célèbre chantre de Serigne Bamba. Cf. Amar Samb : Jaaraama, un poème wolof de Moussa Kâ, in Bulletin de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire, Dakar, juillet 1974, Tome XXXVI, Numéro 3, pp. 592 – 593.

4 – Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké ou Serigne Bamba est né entre 1852 et 1853 (1270H) à Mbacké Baol, au Sénégal. Grand maître soufi surnommé Khadimou Rassoul (le Serviteur du Prophète), il pratiqua successivement les wirds qâdirite, shâdhilite puis tijânite. Par la suite, il éduqua ses disciples sur sa propre voie, sur injonction du Prophète qu’il aurait vu à l’état de veille. Il eut des démêlés avec l’autorité coloniale française de l’époque. Ainsi, il connut des exils et des privations qu’il considérait comme des épreuves sur la voie de la perfection spirituelle. Il mourut en 1927, en résidence surveillée à Diourbel. Ses disciples sont désignés sous le nom de mourides. Cf. Muhammad al-Bachir Mbacké : Minan al-Bâqil-Qadîm fî sîrat Shaykh al-Khadîm, Al-Matbâa al-Malikiyya, Casablanca, (s.d), pp. 31 – 104.

5 – Les soufis ont conceptualisé et systématisé la voie de l’éducation spirituelle que le dévot doit suivre afin de purifier son âme, d’atteindre la perfection de la pratique sincère et d’être gratifié de la Certitude. Ainsi, ils en font une représentation assimilable à une Ascension de l’intérieur avec différentes étapes. Cf. Saliou Ndiaye : op. cit.

6 – Eric Geoffroy : Un éblouissement sans fin, la poésie dans le soufisme, Ed. du Seuil, Paris 2014, p. 21.

7 – Saliou Ndiaye : Le Tasawwuf et ses formes d’organisation, analyse de son évolution, des prémices aux confréries, Thèse de doctorat d’Etat, Lettres, UCAD, Dakar 2014, p. 137.

8 – Al-Qushayrî Abdul Karîm : Ar-Risâla, Dâr al-maârifa, Le Caire 1981, p. 23.

9 – La Maârifa est avant tout un niveau de connaissance de Dieu tel que le dévot qui en est gratifié a une certitude de l’Existence, de la Présence et des manifestations (théophanie) du Créateur. Il est parfois employé comme synonyme de Lumière divine ou même de la dimension intérieure de l’initié. Jâfar b. Muhammad as-Sâdiq (m. 148H) en fut l’un des premiers théoriciens. Cf. Saliou Ndiaye : op. cit., Thèse de doctorat d’Etat, p. 124. Ce concept est également à la base de la doctrine du célèbre soufi de Baghdad Abul-Qâsim Junayd b. Muhammad (m. 297H). Nous l’avons largement étudié dans la troisième partie de notre Thèse. Cf. Saliou Ndiaye : op. cit., Thèse de doctorat de 3e cycle, pp. 166 – 222.

10 – Râbiâ al Adawiyya (m. 801), elle fit signe d’une première déviation de l’orthodoxie avec sa tendance extrême de l’Amour divin. Dhun-Nûn al-Misrî (Abul-fayd) (m. 861), est un soufi orthodoxe qui se fixa en Egypte. Abul-Hassan an-Nûrî est mort en 907. Abû Saîd b. Abil-Khayr est un soufi du Khorasan, il évolua durant la période des couvents, un peu avant la naissance des premières confréries. Il mourut en 1049.

11 – Abû Yazîd Tayfûr al-Bistâmi (261H) est un adepte de l’isolement. Il est très connu pour son apologie de l’Ivresse. Nous avons consacré une section dans notre thèse au langage mystique de ce soufi. Cf. Saliou Ndiaye : op.cit., Thèse de doctorat d’Etat, pp. 138 – 144. Son Dîwân (recueil de poèmes) est par ailleurs étudié et édité par un spécialiste, cf. Qâsim Muhammad Abbâs : Abû yazîd al-Bistâmî, al-majmûa as-sûfiyya alkâmila, Al-Mada, 1e éd., Damas 2004,187.

12 – Abû Mansûr Al-Hallaj (309H) est incontestablement le soufi le plus célèbre de cette tendance de l’Ivresse. Il connut une mort tragique, après avoir été accusé d’hérésie. L’orientaliste Louis Massignon lui a accordé une étude pointue. Sa vie et son oeuvre sont également présentées par Qâsim Abbâs. Cf. Qâsim Muhammad Abbâs : Al-Hallâj al-aâmâl al-kâmila, Riyad ar-Ra’îs Books, Beyrouth 2002, p. 347.

13 – Eric Geoffroy : op. cit., pp. 27 – 37.

14 – Ibid, p. 36.

15 – La Perplexité (Al-Hayra) appelée encore Désorientation est un état spiritual dans lequel le soufi perd l’usage de la parole ou même de la lucidité, face à l’éclat de la Vérité essentielle qui efface les illusions du monde réel.

16 – Saliou Ndiaye : op. cit., Thèse de doctorat d’Etat, p. 284.

17 – Ibid, p. 293.

18 – Shaârânî (ash) Abdul Wahhâb : al-Anwâr al-qudsiyya, Tome I, Maktabat alilmiyya, Le Caire 1966, p. 70.

19 – Eric Geoffroy : op. cit., p. 109.

20 – Dans un hadîth rapporté dans les deux recueils les plus authentiques, le Prophète disait : « Un serviteur ne croit effectivement que lorsqu’il m’aime plus que sa famille, ses biens et tout le monde ». Cf. Muslim : As-Sahîh, H : 44. Cf. Al-Bukharî : As-Sahîh, H : 15.

21 – Nous avons consacré un article à cet aspect de l’Invocation chez Cheikh Ahmadou Bamba. Cf. Saliou Ndiaye : Adh-Dhikr Ind as-Sûfî Shaykh Ahmad Bamba (La pratique de l’invocation chez le soufi Cheikh Ahmadou Bamba, article en arabe), Hawliyyât at-Turâth, N° 14, Université de Mostaghanem, Algérie, 2014,123-130. http://annales.univ-mosta.dz

22 – Cheikh Moussa Kâ est l’auteur de plus d’une centaine de poèmes dédiés principalement à son maître spirituel. Leur thématique varie de la biographie à l’élégie en passant par les récits, la théologie, le détachement… Parmi toutes ces catégories, les élégies sont incontestablement les plus poignants dans le témoignage de sa propre expérience spirituelle et celle de son maître. Aussi, avons-nous choisi de limiter notre présente étude à ce genre poétique. A ce niveau, Cheikh Moussa a adressé des poèmes, au-delà de son maître, à différentes autres grandes figures de sa communauté. Parmi ceux qui sont destinés à son maître, nous avons choisi d’analyser dans l’article les trois poèmes les plus représentatifs, les plus connus et les plus chantés par ses condisciples mourides : Boroomam (Son Seigneur), Qarnu bi (L’Epoque ou le Siècle) et Taxmiis.

23 – En Wolof, la langue du poète, le même mot « woy » désigne invariablement le poème ou le chant. Ceci est en partie lié au passé très récent de tradition orale de cette communauté linguistique. Par ailleurs, les poèmes de ce soufi sont fréquemment chantés dans des séances d’audition spirituelle, c’est cela qui donne à ce mot une autre potée spirituelle. Il faut également noter que les précurseurs de cette littérature wolof ont été des lettrés arabophones qui ont réinvesti leur potentialité et leur savoir dans la réhabilitation de la langue locale, en utilisant l’alphabet et les normes de la langue arabe.

24 – En suivant l’échelle des étapes proposée par Abû Tâlib al-Makkî, l’Amour divin est la neuvième et la plus haute étape. Chez Al-Ghazalî, il est la dixième, juste avant l’Agrément qui est au sommet de son classement. Cf.Saliou Ndiaye : op. cit., Thèse de doctorat d’Etat, pp. 1150 – 1151.

25 – La Jonction (al-ittisâl) marque l’atteinte de l’extinction de l’âme charnelle (al-fanâ) et le début du deuxième voyage de l’initié qui s’effectue en Dieu. La tendance de l’Ivresse considère que c’est ce voyage en Dieu qui est le but ultime du soufi, tandis que l’école orthodoxe de Junayd trouve qu’il y a un troisième voyage vers la Pérennisation à effectuer, afin de réaliser la perfection.

26 – Qâsim Muhammad Abbâs : Al-Hallâj al-amâl al-kâmila, p. 289. Il s’agit ici de notre propre traduction. Il en sera de même, dans la suite, pour toutes les autres citations d’origine arabe ou wolof. Seuls les passages tirés d’ouvrages en français font exception.

27 – Cheikh Ahmad al-Alawî (m. 1934) est le disciple d’Al-Buzidî (m. 1909), un maître d’une branche de la confrérie Shâdhiliyya. Il devint lui-même le maître fondateur de la branche de Mostaganem (Algérie), grâce à son rayonnement. Nous l’avons pris ici comme un exemple d’expression de poète soufi des générations confrériques.

28 – Le Désir (al-Ishq) est le désir essentiel de Dieu qui est assimilable à une attraction que Celui-ci exerce sur l’amoureux.

29 – Eric Geoffroy : op. cit., p. 78.

30 – Idem.

31 – Qâsim Muhammad Abbâs : Abû yazîd Al-Bistâmî, p. 116.

32 – Précédemment, nous avons fait allusion à cette dimension de la poésie de l’auteur. Cf. Saliou Ndiaye : Le poème « Taxmiis », une clé de l’Universalisme de Moussa Kâ, in Ethiopiques, n° 92, Fondation Léopold Sédar Senghor, Dakar 2014, pp. 23 – 40.

33 – Kâ Moussa : Boroomam, Manuscrit n° 180, Fond de documentation de la région de Diourbel, Laboratoire d’Islamologie, Institut Fondamental d’Afrique Noire, Dakar, UCAD, 7 folios, v.13.

34 – Moussa Kâ : Qarnu bi, Manuscrit n° 155, Fond de documentation de la région de Diourbel, Laboratoire d’Islamologie, Institut Fondamental d’Afrique Noire, UCAD, Dakar, 17 folios, v.152.

35 – Eric Geoffroy : op. cit., p. 95.

36 – Mawlânâ Jalâl ad-Dîn ar-Rûmî est né en 604H/1207 à Balah, il est le fondateur de la confrérie Mawlâwiyya. Il était basé à Konya en Turquie.

37 – Meyerovitch Eva de Vitray : Mystique et poésie en Islam, Desclée de Brouwer, 1982, p. 89.

38 – Moussa Kâ : op. cit., v.9

39 – Maguèye Ndiaye : Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké : un soufi fondateur de tarîqa et un érudit poète, Thèse de doctorat d’Etat, Lettres, Université Cheikh Anta Diop, Dakar 2013, pp. 92 – 126.

40 – Moussa Kâ : Qarnu bi, v.189

41 – Eric Geoffroy : op. cit., p. 123.

42 – Ibid., p. 119.

43 – Nous faisons ici allusion au concept de Pérennisation (al-baqâ), très cher à Junayd.

44 – Moussa Kâ : op. cit., v.190 – 191.

45 – Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké : Muqaddimât al-Amdâh, Manuscrit n° 43, Fond de documentation de la région de Diourbel, Laboratoire d’Islamologie, Institut Fondamental d’Afrique Noire, Dakar, UCAD, 30 folios, v.57.

46 – Moussa Kâ : Qarnu bi, v.70.

47 – Ibid., v.118.

48 – Moussa Kâ : Fashkuroo ou Taxmiis, Manuscrit n° 148, Fond de documentation de la région de Diourbel, Laboratoire d’Islamologie, Institut Fondamental d’Afrique Noire, Dakar, UCAD, 4 folios, v.11.

Pour citer l’article :

Dr Saliou Ndiaye : L’ascension et l’ivresse dans la poésie soufie de Cheikh

Moussa Kâ, Revue Annales du patrimoine, Université de Mostaganem, N° 15,

2015, pp. 37 – 53.

http://annales.univ-mosta.dz

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«Confiez-moi les jeunes, je leur inculquerai ce que Serigne Touba avait enseigné aux personnes âgées».

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